Ipellie, Alootook

Illustrateur, bédéiste, poète et essayiste né à Nuvuqquq (Nunavut) en 1951 – mort à Ottawa (Ontario) en 2007.

Alootook Ipellie est né en 1951 à Nuvuqquq, un camp de chasse situé sur l’île de Baffin, dans l’actuel territoire du Nunavut. Fils de Napachie et de Joanassie, il est notamment le petit-fils du sculpteur renommé Inutsiaq (ou Ennutsiaq). Sa demi-sœur Elisapie décède en bas âge, mais Alootook Ipellie a aussi un demi-frère : Joanassie. L’enfance d’Alootook Ipellie est marquée par le nomadisme de sa famille jusqu’à ses quatre ans : son père Joanassie décède dans un accident de chasse. Alootook Ipellie grandit ensuite à Iqaluit avec sa mère et son beau-père. Victime de tuberculose à l’âge de cinq ans, il est envoyé au Mountain Sanatorium à Hamilton en Ontario, où il apprend l’anglais. Ses étés se déroulent dans les camps de chasse, où son grand-père Inutsiaq lui transmet de nombreux contes et récits traditionnels. Alootook Ipellie fait l’expérience de la mutation du mode de vie inuit dans les années 1950, du nomadisme au sédentarisme. L’alcoolisme de son beau-père l’incite à aller vivre auprès de son oncle, qui devient pour lui un mentor au même titre que son grand-père Inutsiaq. Il poursuit son éducation secondaire à Yellowknife (Territoires du Nord-Ouest), puis à Ottawa (Ontario) en 1967. Traumatisé par le déracinement culturel et l’incapacité de suivre ses rêves de carrière artistique, il revient dans le Nord et fait un rapide détour par CBC Iqaluit où il exerce en tant que présentateur et producteur. Il reprend ensuite ses études supérieures à Ottawa à partir de 1973. Dans la capitale fédérale, il fréquente la High School of Commerce et il travaille également en tant que traducteur de l’anglais à l’inuktitut.

C’est par le biais du journalisme qu’Alootook Ipellie revient aux arts graphiques et à la littérature. En 1973, il est recruté en tant que journaliste-reporter pour Inuit Monthly. Inuit Uplumi, revue bilingue (anglais, inuktitut) fondée en 1971 par l’Inuit Tapirisat (« Fraternité inuite », aujourd’hui Inuit Tapiriit Kanatami, « Association des Inuits du Canada »), une organisation basée à Ottawa. Cette revue destinée à un lectorat d’Inuits, mais aussi à de non-Inuits intéressés par la vie nordique, donne à Alootook Ipellie l’occasion de réaliser un dessin à l’encre : cette première expérience débouche sur une bande dessinée satirique, « Ice Box », que la revue publie entre 1974 et 1982. « Ice Box », centrée sur la famille Nook, a pour problématique principale la vie des communautés inuites contemporaines dans un Arctique en pleine mutation. Entre 1993 et 1997, c’est pour Nunatsiaq News, journal d’Iqaluit lu par les Inuits de l’est du Canada, qu’Alootook Ipellie réalise la bande dessinée « Nuna and Vut ». Le goût d’Alootook Ipellie pour les arts visuels ne se limite pas au dessin : il rédige le script d’un dessin animé, Legends and Life of the Inuit, produit en 1980 par l’Office national du film.

Parallèlement à sa carrière de dessinateur et de bédéiste, Alootook Ipellie développe aussi une œuvre d’essayiste et de nouvelliste, également grâce à son travail de journaliste. En effet, après avoir animé une chronique, intitulée « Those Were the Days » entre 1974 et 1976 ; il est ensuite rédacteur en chef pour Inuit Today (c’est ainsi qu’est rebaptisée Inuit Monthly en 1975) entre 1979 et 1982 ; puis, entre 1996 et 1997, il tient une chronique dans Nunatsiaq News, « Ipellie’s Shadow », où il exprime son opinion sur diverses questions relatives à la vie quotidienne inuite. Dès les années 1970, la revue de l’Inuit Tapirisat offre à Alootook Ipellie une tribune pour ses récits, parfois autobiographiques, et ses essais. Pour n’en citer que quelques-uns, « An Alcoholic Life Will Not Do », paru dans Inuit Today en 1976, et « We are Cold », paru dans Inuit Today en 1978, traitent de problèmes sociaux dans un Arctique marqué par la rupture historique de la colonisation. Certains des récits brefs d’Alootook Ipellie paraissent dans des anthologies telles que Paper Stays Put : a Collection of Inuit Writings (1980), première anthologie de littérature inuite canadienne, que l’on lui doit ainsi qu’à Robin Gedalof McGrath et qu’il illustre également ; An Anthology of Canadian Native Literature in English de Daniel Davis Moses et Terry Goldie, parue en 1992 ; ou enfin Northern Voices : Inuit Writing in English, publiée par Penny Petrone en 1988. Cette popularité croissante de l’œuvre d’Alootook Ipellie dans les années 1990 s’explique par la parution de son œuvre maîtresse, Arctic Dreams and Nightmares, en 1993. Ce recueil de vingt récits réécrit la mythologie inuite sous l’inspiration d’évènements et de figures populaires de la culture du Sud ; l’on songe à « After Brigitte Bardot » ou à « Summit with Sedna ». Surtout, cette œuvre consacre l’association des deux versants de l’activité créatrice d’Alootook Ipellie : littéraire et graphique. L’ouvrage, jugé dérangeant par certains Inuits traditionnalistes, est acclamé par la critique canadienne. Il suscite un nouveau regard sur l’ensemble de l’œuvre visuelle de son auteur. Les dessins et les bandes dessinées d’Alootook Ipellie avaient déjà éveillé l’intérêt des communautés inuites du Groenland – en témoignent trois expositions en 1983, 1985 et 1988 – et elles font aussi l’objet d’expositions au Canada (Ottawa (Ontario) en 1989 et 1993, Saskatoon (Saskatchewan) en 1997), en Norvège (1992) et aux États-Unis (2001).

Il convient de ne pas oublier l’œuvre poétique d’Alootook Ipellie, qui prend son essor, elle aussi, à son arrivée à Ottawa. Dès le début des années 1970, il publie plusieurs poèmes dans les revues North et Tukisivisksat. L’on peut aussi mentionner « The Dancing Sun », paru en anglais et en inuktitut dans Inuit Monthly en 1974, et qui évoque les traditions inuites ; ou encore « The Great and Mysterious Northern Lights », également paru en anglais et en inuktitut dans Inuit Monthly en 1974, et qui reprend les légendes du Nord relatives aux aurores boréales. Si Robin Gedalof McGrath met à l’honneur les récits d’Alootook Ipellie dans Paper Stays Put (1980) et Canadian Inuit Literature (1984), c’est Michael P. J. Kennedy qui fait paraître en 2000 une anthologie des poèmes d’Alootook Ipellie dans la revue Canadian Literature.

Notons enfin qu’Alootook Ipellie est un militant de la cause inuite, qu’il s’agisse de promouvoir la culture traditionnelle auprès de sa communauté comme auprès des non-Inuits, ou qu’il s’agisse de lutter pour la légitimité d’un territoire inuit. Au tournant des années 1990, il coordonne le Baffin Writers’s Project, destiné à mettre en valeur et à faire connaître les œuvres littéraires de sa région : il lance en 1990 le très éphémère magazine Kivioq : Inuit Fiction Magazine. Avec Robin Gedalof McGrath, outre l’anthologie Paper Stays Put, il conçoit un projet, hélas inachevé, de manuel d’inuktitut à destination des écoles des communautés inuites ; avec Hans Blohm et Hartmut Lutz, spécialistes allemands de littérature inuite, il collabore en tant qu’illustrateur à la publication du journal d’Abraham Ulrikab : The Diary of Abraham Ulrikab (2005), traduit en allemand sous le titre Abraham Ulrikab im Zoo : Tagebuch eines Inuk 1880/81 (2007). Enfin, il travaille en collaboration avec la Tunngavik Federation of Nunavut, organisation qui milite pour l’établissement du Nunavut comme territoire dans les années 1980, et il place ses talents de dessinateur à son service, illustrant la couverture du Nunavut Land Claim Proposal. À titre personnel, il s’engage dans la prévention de l’alcoolisme dans sa communauté dans les années 1990 et 2000.

Époux de Deborah, Alootook Ipellie est, depuis 1978, le père de Taina Lee Ipellie. Cette dernière lui survit lorsqu’il meurt soudainement d’une crise cardiaque à l’âge de 56 ans. John Amagoalik lui consacre un éloge funèbre : « Alootook Ipellie », paru dans Inuktitut Magazine en 2008. Les spécialistes de littérature inuite tels que Robin Gedalof McGrath et Michael P. J. Kennedy estiment que l’œuvre d’Alootook Ipellie n’a pas reçu l’attention qu’elle méritait. Peut-être cette injustice trouve-t-elle réparation à titre posthume. En 2018, une rétrospective sur son œuvre, « Alootook Ipellie : Walking Both Sides of an Invisible Border », organisée par l’historienne de l’art Heather Igloliorte et produite par la Carleton University Art Gallery (Ontario), réunit une centaine de ses œuvres et fait une tournée au Canada ; en 2020, elle est installée à l’Université de Winnipeg (Manitoba). En 2019, Alootook Ipellie est introduit au Temple de la renommée des dessinateurs canadiens. Aujourd’hui, il est considéré comme un artiste et écrivain dont l’œuvre est une source d’inspiration cardinale pour la culture inuite. Il est aussi l’un des premiers Inuits qui a entrepris de recenser la littérature inuite, contribuant à l’élaboration d’un canon littéraire et d’un discours critique nécessaire à l’émancipation de cette littérature.

La rédaction de cette biographie est basée sur les documents écrits disponibles lors d'une recherche collective réalisée de 2018 à 2021. Il est possible que des coquilles et des faits doivent être corrigés. Si vous constatez une erreur, ou si vous souhaitez rectifier quelque chose dans une biographie d’auteur, merci de nous écrire à imaginairedunord@uqam.ca et nous le ferons avec plaisir. C’est de cette manière que nous arriverons à avoir des présentations plus précises, et à mieux faire connaître et mettre en valeur la culture inuite.

 

(c) Laboratoire international de recherche sur l'imaginaire du Nord, de l'hiver et de l'Arctique, Université du Québec à Montréal, 2018-2021, Daniel Chartier et al.