Militante, avocate, designer et musicienne née à Arkisserniaq (Groenland) en 1960.
Aaju Peter est née en 1960 à Arkisserniaq, un village situé dans le nord du Groenland. Elle grandit dans une famille inuite nomade, qui se déplace le long de la côte ouest de l’île, au gré des missions de son père, pasteur et enseignant. Les parents d’Aaju Peter l’envoient au Danemark alors qu’elle est âgée de onze ans : elle y effectue ses études secondaires. Au cours de ses années d’études, elle apprend à parler le danois et à lire l’anglais, l’allemand, le français et le latin, mais elle oublie alors une part de sa langue et sa culture natales, ce qui lui vaut des taquineries lorsqu’elle rentre au Groenland, âgée de 18 ans. Au début des années 1980, elle épouse un homme originaire de l’Arctique canadien et s’installe avec lui à Frobisher Bay (auj. Iqaluit) en 1981. Mère de cinq enfants qu’elle doit bientôt élever seule, elle s’immerge dans la culture inuite et apprend à parler l’inuktitut et l’anglais. C’est sur cette terre d’adoption, qui deviendra le Nunavut en 1999, qu’elle développe ses diverses activités.
Dans les années 1980, Aaju Peter devient interprète et travaille à titre bénévole dans différents organismes culturels et groupes de femmes. C’est dans le cadre de ces activités qu’elle contribue à établir un refuge pour les femmes inuites victimes de violences conjugales, ainsi qu’une banque alimentaire à Iqaluit. En 2020, le refuge pour femmes d’Iqaluit est encore l’un des seuls refuges pour femmes inuites dans l’Arctique canadien. Aaju Peter s’implique également dans la construction du brise-lames d’Iqaluit en tant qu’opératrice de machines lourdes. L’absence d’infrastructures dans l’Arctique canadien ou leur caractère inadapté à la vie moderne deviennent pour elle un souci constant.
À la fin des années 1990, Aaju Peter entreprend une formation en études inuites au Collège de l’Arctique du Nunavut, à Iqaluit. Son parcours d’études ainsi que son intérêt pour la défense de la cause inuite l’incitent à s’inscrire à l’Akitsiraq Law School, un programme de formation en droit créé à Iqaluit en 1999 afin de pallier le manque d’avocats et de magistrats au Nunavut : le jeune territoire ne compte alors qu’un seul avocat inuit, Paul Okalik, futur Premier ministre du Nunavut. L’Akitsiraq Law School permet à ses étudiantes et étudiants, souvent responsable de famille, d’entreprendre des études financées sans devoir pour cela se rendre dans le Sud. Dès sa première année d’études, Aaju Peter obtient le prix McCarthy-Tetrault, récompensant son excellence académique. En 2005, elle obtient son baccalauréat en droit, dispensé par l’Université de Victoria (Colombie-Britannique), au terme de quatre ans d’études et d’un stage chez Nelligan, O’Brien et Payne, cabinet d’avocats établi à Ottawa (Ontario). Elle est inscrite au barreau en 2007 et, dès lors, elle défend les droits des communautés inuites, que ce soit le droit de chasser le phoque et d’en vivre ou le droit d’être associées à toute prise de décision politique relative aux eaux arctiques. En tant que juriste, elle signe plusieurs articles consacrés aux droits des communautés inuites : « The seal : An integral part of our culture » (2002), « How do you Reconcile International Sovereignty Claims within Inuit Homelands ? » (2005) ou encore « Inuit use and occupation » (2013). En 2007, accompagnée de son fils Aggu, Aaju Peter se rend à La Haye (Pays-Bas) pour contester un projet de loi européen visant à interdire l’importation de produits à base de phoque. Elle n’a de cesse de faire connaître au public la perspective inuite sur cette question, notamment en coordonnant l’événement « Celebration of the Seal » à Iqaluit, en mars 2008 ; en 2009, c’est vêtue de l’amauti, parka traditionnel en peau de phoque, qu’elle prend la parole devant le parlement européen à Strasbourg (France), avant que le projet de loi ne soit toutefois majoritairement voté. Aaju Peter dénonce alors l’hypocrisie d’une telle mesure, ainsi que le désastre économique qu’elle occasionne pour les chasseurs inuits. Le militantisme d’Aaju Peter lui vaut la reconnaissance de l’Inuit Tapiriit Kanatami (Association des Inuits du Canada), qui lui attribue le prix « Advancement of International Issues » en 2008. Déjà apparue dans le documentaire Arctic Defenders (2013) de John Walker, qui retrace la genèse du Nunavut, Aaju Peter participe au documentaire multi-primé Angry Inuk (2016) d’Alethea Arnaquq-Baril, paru en français (sous le titre Inuk en colère) et en espagnol en 2017, et qui relate la lutte des communautés inuites contre les réglementations européennes sur les produits issus du phoque.
Ce n’est pas seulement en tant qu’avocate de sa communauté qu’Aaju Peter est concernée par le boycott européen des produits dérivés du phoque ; c’est aussi en tant qu’artisane et designer. En effet, sa redécouverte de la culture et des traditions inuites dans les années 1980 lui permet d’apprendre à travailler la peau de phoque. Elle conçoit bientôt gilets, manteaux, pantoufles, mitaines, sacs, mêlant à un style contemporain l’inspiration des motifs inuits traditionnels. La plus notable de ses créations est le manteau en peau de phoque qu’elle conçoit sur commande pour la gouverneure générale Adrienne Clarkson. En septembre 2004, elle participe en tant que styliste au Vestnorden Arts and Crafts Symposium qui se tient à Reykjavík (Islande). En 2011, lorsqu’elle reçoit l’Ordre du Canada pour ses contributions à la préservation et à la promotion de la culture inuite et de l’inuktitut, elle arbore un amauti qu’elle a elle-même confectionné et formule le vœu que sa petite-fille, alors âgée de deux ans, puisse un jour porter un vêtement semblable. En 2018, un parka signé Aaju Peter est exposé parmi d’autres habits traditionnels inuits dans le cadre d’une exposition organisée au parlement du Nunavut par l’exploratrice américaine Matty McNair. Le stylisme n’est pas le seul moyen par lequel Aaju Peter défend et transmet la culture de sa communauté. En 2008, en participant en tant qu’interprète au tournage de Tuuniit : Retracing the Lines of Inuit Tattoos (2010, 2011), documentaire d’Alethea Arnaquq-Baril, elle se fait tatouer sur le front, le menton et les mains des motifs inuits traditionnels qu’elle arbore avec fierté. En 2009, elle prête sa voix au livre sonore consacré au journal d’exil d’Abraham Ulrikab, Inuit du Labrador tragiquement décédé en 1881 dans un jardin d’acclimatation parisien.
L’on ne peut omettre de mentionner l’œuvre de musicienne et de chanteuse d’Aaju Peter. En 2007, son premier album, The Third Age, est lancé : il réunit des chansons et des classiques musicaux inuits du Groenland. À l’automne 2012, lorsque l’Orchestre du Centre national des arts fait sa tournée dans l’Arctique canadien (Iqaluit, Yellowknife, Whitehorse, Pangnirtung, Rankin Inlet), Aaju Peter fait partie des artistes invités à donner des ateliers. Depuis les années 2010, elle voyage à travers le Canada, le Groenland et l’Europe pour y assurer des spectacles de danses au tambour et des récitals de chants traditionnels, tout en présentant ses créations vestimentaires.
Parallèlement à son travail d’avocate, de militante, de styliste et de musicienne, Aaju Peter s’implique personnellement dans le développement et la promotion de programmes scolaires et universitaires à destination des communautés inuites. Ainsi enseigne-t-elle l’inuktitut au Nunavut Sivuniksavut à Ottawa, tout en étant conseillère culturelle et chargée de cours dans le cadre du Nunavut Law Program. Passeuse de la culture inuite entre les générations, Aaju Peter recueille régulièrement des éléments de droit coutumier inuit auprès des aînés de sa communauté pour le compte du ministre de la Justice du Nunavut. Experte en matière de culture inuite, elle est sollicitée pour participer à la rédaction d’ouvrages dédiés au sujet, qui s’adressent aux Inuits comme aux Blancs : l’on songe à la préface qu’elle signe pour Arctic kaleidoscope : the people, wildlife and ever-changing landscape (2013) de Michelle Valberg et Julie Beun, ou à son article « Moon, seasons, and stars », paru dans Inuit worldviews : an introduction (2017 de Jarich Oosten et Frédéric Laugrand. En octobre 2019, Aaju Peter est conférencière invitée au 21e Congrès d’Études inuites, qui se tient à Montréal : aux côtés de Lisa Qiluqqi Koperqualuk et d’Alethea Arnaquq-Baril (entre autres), elle promeut la nécessité d’une université dans l’Arctique canadien, dont le programme serait axé sur la transmission des savoirs inuits.
Aaju Peter vit actuellement à Iqaluit, où elle poursuit son œuvre militante et artistique. Dans le film Twice Colonized de la réalisatrice danoise Lin Alluna, à paraître en 2021, elle retrace le drame personnel qu’est le suicide de son fils, et la quête de justice qui l’amène devant ses colonisateurs, au Canada comme au Groenland.