Sculpteur, conteur et prédicateur né à Puvirnituq (Nunavik) en 1916 – mort à Puvirnituq (Nunavik) en 2004.
Aisa Qupiqrualuk est né sur l’emplacement de l’actuelle Puvirnituq, au Nunavik, en 1916. Il est connu sous de nombreux noms : Aisa, Isa, Isah de son prénom – souvent Aisa Alasua – et Qoperqualu, Quoperqualu, Koperqualuk, Qupirualu, Qupirrualuk ou encore Qupiruala de son nom de famille. Fils de Qiluqqi, il est l’aîné de ses quatre frères et sœurs : Alasie Alasuaq, Paulusie Sivuaq, Nellie Nungaq (ou Nungak) et Annie Amaamattuaq. Aisa Qupiqrualuk est baptisé à l’âge de trois mois et suit des études à Cape Dorset (auj. Kinngait), village situé sur l’île Dorset, près de la péninsule de Foxe, dans l’actuel Nunavut : l’Église anglicane y tient une école religieuse réservée aux enfants inuits. L’itinéraire d’Aisa Qupiqrualuk le conduit de la sculpture à l’exercice du ministère anglican, dans une perspective constante : la défense et la promotion des intérêts et de la culture de sa communauté.
C’est en 1950 que l’artiste et cinéaste canadien James Archibald Houston, « Saumik » de son nom inuit, encourage Aisa Qupiqrualuk à faire de la sculpture : il vend ses œuvres à des collectionneurs privés par le truchement de la Compagnie de la Baie d’Hudson et la Canadian Handicraft Guilde (Guilde canadienne des métiers d’art), pour laquelle James Archibald Houston évalue les productions artistiques inuites. C’est en 1957, à l’occasion d’un voyage qui le mène à Ottawa, Montréal, Toronto ou encore Pittsburgh, qu’Aisa Qupiqrualuk voit son œuvre de sculpteur et celle des artistes de Puvirnituq reconnus par le marché artistique du Sud. Aisa Qupiqrualuk s’essaie également au dessin, en participant au premier atelier graphique expérimental qui se tient à Puvirnituq en 1961. Plusieurs de ses œuvres, des estampes au pochoir dont les sujets sont inspirés de mythes et légendes inuites, sont imprimées et éditées dès 1961 ; certaines sont aujourd’hui au Musée de la civilisation (Québec), d’autres sont détenues dans des collections privées ou des galeries d’art, telles que la galerie d’art new-yorkaise “Alaska on Madison”. Cependant, c’est la sculpture sur pierre qui a les faveurs d’Aisa Qupiqrualuk. En 1960, ce dernier s’implique dans la fondation de la Coopérative de Puvirnituq et devient un membre de son conseil d’administration aux côtés de Charlie Sivuarapik (également appelé Saali E9-1460 Arngaituk), Peter Agutigirk, Paulusie Sivuak, Taania Qumak Angiyou et Tamusi Tulugak : en effet, c’est tout particulièrement grâce au travail des sculpteurs que la Coopérative de Puvirnituq bénéficie de ses fonds de départ. Dans les années 1950-1960, les sculptures d’Aisa Qupiqrualuk, d’inspiration réaliste, s’affinent à mesure qu’il approfondit la maîtrise de son art. Ses œuvres font l’objet d’expositions à travers le Canada et sont présentes dans les collections du Musée des beaux-arts de Winnipeg, du Musée canadien de l’histoire, du Musée des beaux-arts de l’Ontario, du Musée royal de l’Ontario ou encore du Musée des beaux-arts de Montréal. L’on trouve également ses sculptures dans plusieurs ouvrages d’art. L’on songe à ces deux catalogues du Musée des beaux-arts de Winnipeg : The Povungnituk Paradox : Typically Untypical Art (1977) de George Swinton et Early Masters – Inuit Sculpture 1949-1955 (2006) de Darlene Coward Wight ; l’on songe aussi à Art Nunavik : Sculpting Techniques (2012) publiée par la Fédération des Coopératives du Nouveau-Québec, ainsi qu’au mémoire de maîtrise en histoire de l’art de Carol Ann Prokop, « Written in Stone. A Comparative Analysis of Sedna and the Moon Spirit as depicted in Contemporary Inuit Sculptures and Graphics » (1990).
L’œuvre de sculpteur d’Aisa Qupiqrualuk est étroitement liée à son goût pour les contes inuits, et c’est dans le recueil de contes illustrées bilingue (anglais, français) de Zebedee Nungak et Eugene Arima, Inuit stories. Légendes inuit. Povungnituk (1992), qu’Aisa Qupiqrualuk conjoint ces deux aspects de sa production artistique. Cet ouvrage, précédemment édité en 1988, fait suite à deux éditions : une édition bilingue (inuktitut, anglais) intitulée Unikkaatuat sanaugarngnik atyingualiit Puvirngniturngmit. Eskimo Stories from Povungnituk, Quebec (1969) et une autre édition bilingue (inuktitut, français) intitulée Unikkaatuat sanaugarngnik atyingualiit Puvirngniturngmit. Légendes inuit de Povungnituk, Québec (1975). Dans l’édition de 1988, l’on identifie notamment trois contes d’Aisa Qupiqrualuk E9-801 (d’après son numéro de disque), illustrés par ses propres sculptures : « Sikuliasuituq », « Lumaaq » et « Nauyalu kutyaunalu. The seagull and the kutyaunaq ». « Lumaaq », transcrit et traduit de l’inuktitut vers le français par l’anthropologue Bernard Saladin d’Anglure, est présent dès l’édition de 1969 : un homme aveugle, abusé par sa mère qui le spolie de l’ours qu’il a abattu et l’abandonne dans son igloo, se venge d’elle au cours d’une partie de pêche. L’on attribue aussi à Aisa Qupiqrualuk un autre récit, « The Sedna myth », d’après la figure mythique de Sedna, déesse inuite de la mer, qui est collecté par l’anthropologue américain Edward Moffat Weyer et publié dans l’anthologie de William Herbert New Canadian Short Fiction : From Myth to Modern (1986).
Néanmoins, dans les années 1960, la carrière de sculpteur d’Aisa Qupiqrualuk est abrégée au profit de sa mission de pasteur anglican : porté par le souhait de servir son peuple, dans sa communauté comme dans d’autres communautés, il fait partie des quelques Nunavimmiut ordonnés par l’Église anglicane autour de 1965 et parcourt le Nunavik dans le cadre de ses fonctions : Kuujjuaq, Kuujjuarapik, Kangirsuk. Il constate la déperdition des traditions culturelles et artistiques inuites, notamment de celle du chant de gorge (katadjait), disparu de la région de Puvirnituq depuis les années 1930 : il encourage les femmes du village à perpétuer cette pratique, ce qui débouche sur un album, enregistré au tournant des années 1970 : Inuit Throat and Harp Songs. Eskimo Women’s Music of Povungnituk. Chants inuit - Gorge et guimbarde. Musique des Esquimaudes de Povungnituk ; Nellie Nungak, la sœur d’Aisa Qupiqrualuk, y chante aux côtés d’Alasi Alasuak, Lucy Amarualik, Mary Sivuarapik et Alaci Tulaugak. Notons qu’Aisa Qupiqrualuk et Nellie Nungak ne sont pas les seuls de leur fratrie à défendre les intérêts de leur communauté : leur frère Paulusie Sivuaq fait partie de l’Inuit Tungavingat Nunamini, association qui s’oppose aux termes de la Convention de la Baie James et du Nord québécois dans les années 1970.
Dans les années 1980, Aisa Qupiqrualuk est un aîné respecté de sa communauté, qui s’implique dans les activités de l’Institut culturel Avataq alors récemment fondé (1980), et qui est un interlocuteur précieux pour les anthropologues, tels que Frédéric Laugrand. Il prend régulièrement position sur le droit des communautés inuites à disposer des vestiges culturels et artefacts mis au jour par les fouilles archéologiques. Décédé en 2004, Aisa Qupiqrualuk est, encore à ce jour, une source d’inspiration et un modèle pour sa petite-fille, Lisa Qiluqqi Koperqualuk, qu’il a élevée avec son épouse Lydia dans les années 1960 et qui a parcouru avec lui, dans son enfance, différentes communautés du Nunavik.