Éditrice de la revue Them Days, historienne orale, autrice, brodeuse et organisatrice d’exposition, née à Cartwright (Labrador) en 1941 – morte en 2006 à St. John’s (Terre-Neuve).
Doris Jean Martin Saunders est née le 6 juin 1941 à Cartwright (Labrador), la deuxième d’une fratrie de six enfants. Elle est d’origine inuite, innue et européenne. Elle est l’arrière-arrière-petite-fille de l’autrice Lydia Campbell et la nièce des autrices Margaret Baikie et Elizabeth Goudie. Dans son enfance, Doris Saunders est bercée par les talents de conteur de son père, qui est trappeur et pêcheur de métier. Adolescente, Doris Saunders déménage à Happy Valley-Goose Bay (Labrador) pour sa dernière année du secondaire, avec une bourse d’études, sans toutefois terminer son année. Elle obtiendra son diplôme du secondaire en 1967, après avoir suivi des cours du soir.
À l’école, elle apprend la broderie et devient plus tard une brodeuse réputée. Plusieurs de ses œuvres font partie de la collection de The Rooms, le principal musée et centre culturel de Terre-Neuve-et-Labrador, situé à St. John’s. Son travail est aussi présenté dans le cadre de l’exposition SakKijâjuk: Art and craft from Nunatsiavut, conçue par la commissaire et professeure Heather Igloliorte en 2018. L’exposition réunissait des œuvres d’artistes du Nunatsiavut, pendant longtemps méconnus sur la scène de l’art inuit.
Doris Saunders se fait toutefois principalement connaître pour son rôle dans la création et la direction éditoriale de la revue Them Days. En 1975, elle est engagée par la Société d’histoire du Labrador (Labrador Heritage Society) pour mener à bien un projet de publication de témoignages recueillis par le trappeur retraité Isaac Rich auprès de membres des communautés d’Happy Valley-Goose Bay, de Rigolet et de North West River. Il lui devient rapidement évident qu’un seul ouvrage ne suffira pas à mettre en valeur le matériau collecté. À la suite d’une collaboration entre la Société d’histoire du Labrador et la Ligue des anciens (Old Timers League), une association de personnes âgées, le projet évolue pour se transformer en un magazine trimestriel, intitulé Them Days, dont la mission est de préserver l’histoire orale du Labrador. Occupant le poste de rédactrice en chef du magazine pendant près de 30 ans, Doris Saunders y contribue aussi en tant que recherchiste, intervieweuse, réviseure, rédactrice et photographe. Elle apprend d’ailleurs à prendre des photographies et à les développer dans le cadre de son engagement avec le magazine. Au fil des années, Doris Saunders s’investit aussi dans un travail sur les photographies d’archives de Them Days, avec l’aide de sa fille Gillian Saunders, qui rejoint l’équipe en 1987. Les deux femmes cherchent ainsi à identifier les personnes représentées dans les photographies, quand leur identité n’a pas été proprement documentée, tout en corrigeant certains des termes utilisés dans les légendes originales. Doris Saunders enregistre au fil des années des milliers d’heures d’entrevues sur l’histoire et la vie des gens du Labrador, et les retranscrit en prenant soin de laisser les marques d’idiolecte labradorien. Bien que Them Days soit principalement une publication anglophone, le magazine se démarque aussi par l’inclusion d’histoires publiées en inuttitut, plus rarement en innu-aimun, et traduites vers l’anglais. Le magazine a ainsi publié des récits de Labradoriens et Labradoriennes de toutes origines, mais en laissant une place importante aux productions artistiques et aux récits inuits et innus. Le rôle de la revue en tant qu’espace d’autoreprésentation est largement reconnu, ce qui en fait une institution culturelle centrale au Labrador, malgré des défis financiers récurrents.
Dans les années 1980, le mandat de Them Days se diversifie pour inclure des activités comme la publication de livres en collaboration avec des maisons d’édition, l’édition de livrets d’information et l’organisation d’expositions d’artisanat. Doris Saunders, avec sa collègue et collaboratrice de longue date Judy McGrath, publie ainsi en 1980 un livret d’information sur le Labrador et, l’année suivante, un ouvrage intitulé Labrador pastimes: Toys, games and amusements, qui accompagne une exposition sur les jouets du Labrador présentée à la galerie d’art de l’Université Memorial de Terre-Neuve. En 2000, Doris Saunders écrit aussi la préface d’une nouvelle édition du journal de Lydia Campbell, publiée par Them Days et Killick Press. Ce journal, témoignage direct de la vie d’une femme inuite au XIXe siècle, est un texte fondateur de la littérature inuite écrite au Labrador.
En 1984, le magazine fonde des archives pour l’organisation des documents de recherche accumulés par ses collaborateurs et collaboratrices. En plus de ces fonds, les archives Them Days contiennent des archives personnelles léguées par des Labradoriens, des rapports, des enregistrements audio et vidéo, des photographies, des cartes et une bibliothèque de référence. Ces archives sont décrites comme l’une des collections les plus complètes sur l’histoire du Labrador. Les archives personnelles de Doris Saunders y sont d’ailleurs conservées : elles témoignent de sa carrière active de rédactrice en chef, mais aussi de conférencière et de correspondante épistolaire.
Doris Saunders prend sa retraite en tant que rédactrice en chef de Them Days en février 2003, bien que son travail en tant que recherchiste continue à y être publié après son départ. Elle a consacré sa carrière à la documentation, préservation et promotion de l’histoire et de l’identité des habitants et habitantes du Labrador, dont elle explore la complexité identitaire et culturelle ainsi que la profondeur historique. Elle s’est ainsi engagée dans la préservation de ce patrimoine et de cette histoire orale en s’intéressant aux récits individuels du quotidien. Luttant contre des dynamiques provinciales et fédérales de marginalisation et d’invisibilisation des peuples autochtones du Labrador, et plus largement des Labradoriens, elle a promu la créativité de ceux-ci et les a encouragés à la solidarité. Elle décrit d’ailleurs Them Days comme une courtepointe composée de multiples identités, mais dont le fil conducteur est l’essence de l’identité labradorienne. Doris Saunders s’inscrit aussi, par ses liens familiaux et par son travail, dans une lignée d’autrices ayant témoigné de la vie de femmes d’origine mixte au Labrador sur plusieurs générations. Elle a dit avoir voulu continuer, avec son engagement éditorial, le travail de documentation entamé par sa trisaïeule Lydia Campbell.
Pour son travail à Them Days, Doris Saunders reçoit plusieurs distinctions à partir des années 1980. Elle est ainsi récompensée par la Société historique du Canada en 1981 et par le Conseil des arts de Terre-Neuve-et-Labrador (Newfoundland and Labrador Arts Council) en 1993. Elle devient membre de l’Ordre du Canada en 1986. Finalement, en 1994, elle reçoit un doctorat honorifique de l’Université Memorial de Terre-Neuve.
L’identité inuite de Doris Saunders a fait l’objet de tensions au cours de sa vie, principalement en raison d’un désaccord géographique issu des accords territoriaux négociés des années 1970 à 2005 entre l’Association des Inuits du Labrador (Labrador Inuit Association, LIA), le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador et le gouvernement du Canada. Inuite par son père, Doris Saunders est née à Cartwright, au sud de la limite établie par les revendications territoriales, alors que sa grand-mère paternelle venait de Bluff Head, une communauté plus au nord, dans un territoire inclus dans les revendications. Sa demande d’adhésion à l’Association des Inuits du Labrador est d’abord rejetée en raison de son lieu de naissance, puis acceptée en 1990. Doris Saunders est alors élue au conseil d’administration de l’association, avant de voir son adhésion remise en question et annulée. Elle devient ensuite membre de l’Association des Métis du Labrador (Labrador Metis Association), devenue depuis le Conseil communautaire NunatuKavut (NunatuKavut Community Council).
Doris Saunders décède le 28 mai 2006, des suites de la maladie d’Alzheimer, à St. John’s. Them Days consacre un numéro à sa mémoire, constitué de plusieurs témoignages de ses proches et de collaborateurs et collaboratrices du magazine.